Je fais partie de ces gens toujours un peu en marge, pas vraiment dans le mouvement, décalés. Pas forcément un décalage "psychologique" comment l’entendent les super-héros en slip du du développement personnel, mais j’ai toujours un train de retard.
En 2017, j’ai commencé à faire de la photographie de manière très active, prenant dans la foulée la décision d’en vivre pour me sortir enfin du piège de l’éducation nationale. J’ai donc rencontré du monde, je me suis formé. J’ai vu certains photographes proches progresser de manière exponentielle, à tel point qu’aujourd’hui un fossé s’est creusé.
Je les vois construire leur réseau, se faire des amis dans le milieu qu’ils ont choisi. Progresser, aussi, dans leur technique. Je suis sincèrement impressionné. Notamment, parce que je sais aujourd’hui (malgré quelques illusions maintenant éteintes) que je n’y arriverai jamais. Mais avant de vouloir me sauter dans les bras pour me consoler (ce que je ne supporte pas de toute façon, c’est le meilleur moyen de m’agacer par-dessus le marché), il va falloir comprendre pourquoi ce n’est pas un problème.
Il y a probablement des tas de raisons, lorsque l’on voit les autres décoller là où on a l’impression de faire du sur place, de se sentir mal. L’envie, la jalousie, des vieux trucs désagréables liés à l’histoire de chacun. Peut-être aussi l’envie d’être le meilleur, toujours ou le simple fait de découvrir notre propre incapacité.. J’imagine que vous aurez aussi tout un tas d’éléments à ajouter à cette liste.
Mais je pense qu’il y a une explication qui tient tout à fait la route et qui mérite d’être exposée ici. C’est l’absence de référentiel. Il se trouve que, si parfois on prend le même départ ou en tout cas, nos routes se croisent plus ou moins longtemps, on ne vogue pas tous vers le même horizon. Pour certains, il clair clair, limpide. Pour d’autres, il l’est moins. Que cela soit clair ou limpide ne signifie absolument pas que le trajet sera sans heurts, bien entendu.
Plus l’horizon est lié à un référentiel, un but à atteindre existant, plus il est limpide. C’est un cercle vertueux. Si vous fixez un tel objectif dans un domaine où votre visibilité sera importante, votre travail sera lui-même plus facilement identifiable et mieux reconnu. Mais si votre référentiel est moins précis, vous creusez l’écart. En somme, dans le premier cas, on peut juger facilement le travail, le talent, la conformité au modèle (ce qui est aussi très intéressant pour soi-même), dans le second cas, c’est plus compliqué, plus aléatoire. Il va falloir que chacun (dont vous-même) parvienne à créer un cadre de référence à partir de sa propre culture.
Dans les deux cas, le progrès peut être réel, considérable. La différence se fera dans ce qui est saisissable ou non. Il y a certains photographes, lorsque je vois leur travail, qui me mettent très mal à l’aise. Pourquoi ? Parce que je constate leur talent. Le fait qu’ils aient du talent ne me pose pas de problème, bien au contraire. Si j’ai identifié leur talent, en tout cas la qualité de leur travail, c’est que le référentiel est clair : la conformité au modèle est saisissante. Conséquence pour cet artiste : il est reconnu, il peut ainsi espérer en vivre et donc, continuer à affiner son art. La conséquence est que cela me renvoie au fait que mon référentiel étant plus flou (parce qu’il s’agit d’une synthèse ou que je suis moi-même en train de construire ce référentiel), je ne peux pas bénéficier d’une aussi nette reconnaissance et donc, je dois faire pus d’efforts pour subsister et continuer à pratiquer mon art [1].
Certains appelleront peut-être ça de la jalousie. Ils auront peut-être raison. Néanmoins, je trouve qu’il est essentiel de s’interroger sur nos rapports avec les pairs et ça montre à quel point il peut être hasardeux de se comparer aux autres. On a tous tendance à le faire, je pense que c’est plutôt normal, mais il faut savoir à quoi on se compare exactement. Être à la marge signifie qu’on n’a pas un référentiel connu ou reconnu. Ça provoque de l’incompréhension, de la mise à distance. Dans le fond, il est important de comprendre qu’il n’y a pas de jugement de valeur. Il serait idiot d’en faire, d’ailleurs.
C’est en comprenant tout ça que je appris à ne plus me sentir minable à chaque fois que je vois mes pairs réussir là où je ne leur arriverai jamais à la cheville. Ce n’est pas une affaire d’ego, d’estime de soi. Mais de repères.
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# Le 9 avril 2022 à 10:38, par Ben c’est moi Katia En réponse à : À côté de la plaque
La clarté c’est quelque-chose d’important. Plus je vieillis, plus je m’en rends compte. J’ai longtemps navigué dans une sorte de flou, me faufilant où je pouvais comme je pouvais. Une forme de protection je pense et aussi de laisser la place à divers possibles.
Depuis une certaine rencontre avec quelqu’un qui est précis , clair et pragmatique, j’ai appris à être plus clair avec moi-même. Et je dois dire que ça a changé des choses dans ma vie, ça l’a simplifié et j’ai moins de frustrations.
Tout ça pour dire que même avec tout le talent du monde, il y a parfois des choses qu’on ne peut pas, qu’on ne veut pas faire pour diverses raisons diverses et variées et que c’est surtout à ce moment qu’il faut être clair avec soi.
Qu’est-ce qui est le plus important pour soi dans un métier ? Être reconnu, nourrir la famille, respecter ses valeurs ou convictions, se sentir épanoui, respecter sa sensibilité, répondre à des attentes, etc...
Je donne en exemple des réponses qui ne sont pas forcément les tiennes, mais si les réponses entrent en conflit entre elles, c’est là que faire preuve de clarté devient essentiel et qu’il faut opérer des choix (ô combien difficiles parfois).
De quelle créativité je peux faire preuve pour que tout devienne cohérent dans ma vie ?
Tu as du talent, reconnais-toi.
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