La maison de la gaité, Denis Montebello
« Que l’art brut soit tendance, cela leur fait une belle jambe. D’autant plus que les turpitudes de Sigmund et son amour pour les plantureuses coquilles Saint-Jacques corses l’ont troublées, et ce pour longtemps, jusqu’au plus profond du pantalon. Et qu’on les regarde, pour éviter de les enfermer dans une catégorie qui relève un peu trop de la psychiatrie, comme des outsiders. Mais pour comprendre, il faut remonter aux prémices de la psychologie de comptoir. Freud a dit un jour : « Avant d’utiliser les connaissances que nous venons d’acquérir concernant les perversions, pour entreprendre, à leur lumière, une nouvelle étude, plus approfondie, de la sexualité infantile, je tiens à attirer votre attention sur une importante différence qui existe entre celles-là et celle-ci. »
Il faut bien admettre que ce jour-là, il en tenait une bonne. Wilhelm Fliess, célèbre cocaïnomane persistant venait de mettre deux claques à son ami alors qu’il était à deux doigts de s’étouffer dans son vomi. C’est alors, que dans un élan de lyrisme titubant, le psychanalyste, sous les yeux ébahis de l’assistance composée deux trois cochons dodus et d’une cafetière en satin blanc, se défit de son attribut le plus précieux. Qui aurait cru que ce jour-là, Freud enterrait lui-même le mythe du gros moustachu à menhir.
Certes, ils ont anticipé la mort de l’art. Préfiguré, avec leur maison, nos installations. Mais enfin quand même, c’était sans compter la curiosité machiavélique du feu rédacteur en chef de Pilote. On l’accuse d’avoir pris l’art en traître alors que celui-ci se remettait à peine du cubisme. Il erra longtemps à faire la manche dans les rues de Paris et de Bruxelles sous le regard lubrique d’Arthur Danto, célèbre transfigurateur alternatif alors en vacances avec sa belle-sœur Marie-Josette, critique culinaire à la billetterie du Musée des Beaux-Arts et coiffeuse à mi-temps dans un petit village de l’ouest de la France qui résiste encore et toujours à l’envahisseur et morte tragiquement, écrasée par un gros caillou tombé du cinquième étage de sa petite maison en terre. Ravagé, le philosophe des arts s’engagea dans l’armée romaine et devint légionnaire. Il y rencontra Wilhelm Fliess qui s’était égaré en rentrant de la petite sauterie qu’avait organisé Max Schur pour fêter sa propre naissance en 1897. Puis, profitant de l’inattention de son Hastatus prior, il s’évada dans la plus grande des confusions en se cachant dans un grand cheval de bois qui resta à la lisière du camp pendant plusieurs semaines. Il serait mort de faim si les troupes Nazies du commandant en chef Himmler, alors en tournée pédagogique, n’avaient pas décidé de s’y cacher eux-mêmes pour faire une farce à ce dernier qui était un brin facétieux. Ils avaient apporté un délicieux moelleux au chocolat, pêché mignon d’Arthur Danto. Quelque peu fébrile et influençable celui-ci signa ses papiers d’engagement sans réfléchir et, profitant de l’obscurité de la nuit tombante, quitta le ventre du cheval en compagnie de ses nouveaux meilleurs amis.
Mais Sigmund Freud et Wilhelm Fliess sont d’abord des inspirés, des inspirés du bord des routes, et ils nous appellent, depuis leur tombe un peu encombrée, certes, depuis que les troupes d’Himmler s’y planquent (on apprendra plus tard que le Reichsfürer était bien moins rigolo qu’au premier abord). Ils nous invitent à la Gaieté. À cueillir le jour, et aussi des traces. À mettre nos pas dans ces vestiges, nos mots. » [1]
Vos commentaires
Le 28 février 2017 à 15:37, par Patrick
En réponse à : Des goûts et des couleuvres | 01
Texte original qui donne envie d’en connaître davantage.
Bravo pour ce blog et merci pour ce partage.
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Le 28 février 2017 à 17:05, par Stewen Corvez
En réponse à : Des goûts et des couleuvres | 01
Merci Patrick ;-)
Je mets ton nom dans le chapeau !
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