Mon dernier article de blog était une erreur. J’aurais dû publier ça dans la catégorie "fiction" puisqu’il s’agit d’une fiction. Au départ, je ne partais d’ailleurs pas pour écrire une fiction. J’avais prévu de vous parler d’une expérience récente. Mais c’était encore trop récent pour que je puisse vous en parler proprement, alors j’ai dévié et Humphrey est intervenu pour en assumer à lui seul la responsabilité.
Même point de départ.
Aujourd’hui j’écris sans lui. J’ai fait le nécessaire pour qu’il ne me dérange pas. Il ne sait pas que je suis en train d’écrire un article sans lui, que pas un seul mot ne suis sera consacré, que son nom n’apparaîtra même pas. Vous savez que j’ai échoué, mais que cela ne m’empêche de raconter ce que j’ai à vous raconter.
Le 9 novembre dernier, a eu lieu l’ultime voyage de trois aller-retours vers et de Paris. Le premier pour y rencontrer un médecin, le second pour y rencontrer une psychologue que ce même médecin m’avait recommandé (rendez-vous qui sera lui-même suivi de deux autres rendez-vous en visioconférence) et un dernière pour rencontrer une dernière fois ce médecin. Humphrey n’était pas présent, mais j’aurais bien aimé. Sa conclusion était la même que celle de la psychologue, différente de celle d’un autre médecin, mais la même que celle d’une autre psychologue encore avant et d’une neuropsychologue, la première.
J’ai vu pas mal de monde en 2 ans et demi. Mais ça faisait dix ans que je me posais des questions. Personne n’était au courant. Même pas Humphrey. Quand j’ai entamé la démarche diagnostique, ça ne l’a pas vraiment surpris, même si moi-même je refusais d’y croire. Et j’ai encore refusé d’y croire après le 9 novembre, alors que c’était confirmé noir sur blanc.
On pourrait se demander pourquoi le TDAH (Trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité) a été si simple à admettre et intégrer alors que le TSA (Trouble du spectre de l’autisme), non. Le TSA est l’objet d’énormément de fantasmes, de déformations, d’enjeux. Aujourd’hui, on préférerait largement avoir un diagnostic de TSA que de trouble bipolaire, schizophrénie ou trouble de la personnalité limite (borderline). Et ça me paraît plutôt normal, l’image véhiculée par ces troubles ou pathologies (je sais que l’un ou l’autre de ces termes plaira ou non) est moins flatteuse. Sherlock Holmes, Sheldon Cooper, Bill Gates, Elon Musk, Albert Einstein et bien d’autres représentent le mythe de l’autiste génial, un peu perché, sur sa planète. Finalement, ce dont on rêve tous un peu (indépendamment de ce qu’on pourrait penser de l’éthique ou morale de certains d’entre eux, ils sont fascinants. Même Elon Musk, c’est dire).
Moi dans tout ça ? Et bien peut-être que je suis un escroc, un type qui manque de confiance en lui et qui recherche une bonne raison qui ferait de lui, de fait, un individu méritant. Un peu comme le HPI, mais encore plus flatteur (et moins bullshit).
Parmi les noms que j’ai cités, certains sont fictifs, d’autres sont des autistes présumés. Musk a peut-être vraiment un diag, mais même pas sûr, et je ne sais pas si c’est vérifiable. Ce sont des caricatures, ce qu’on veut montrer de l’autisme. À cause de cette caricature, on perd le nord.
Le TDAH, c’est pratique : vérifiable facilement par des tests, des séries de questions. C’est moins sujet à interprétation (même si dans le détail, il y a quand même pas mal de subtilités). Mais surtout, Einstein, Musk, Sheldon et compagnie n’ont pas la réputation d’être TDAH et ça fait toute la différence. J’ai vu des personnes dont le diagnostic de TSA a été refusé au motif que le TDAH expliquait mieux leurs difficultés, puis refusant cette interprétation parce que non, le TSA c’est quand même plus cool.
Être autiste c’est classe.
C’est louche. Et c’est pour ça que pour moi c’est bien plus difficile à accepter. Je ne veux pas d’un truc parce que c’est cool, que c’est à la mode, que c’est flatteur. Je ne supporte pas la mode, je ne suis rien. Je me fiche de la dernière tendance. Quand mes potes de collège ou de lycée découvraient Metallica, Michael Jackson, Nirvana, Queen etc, j’écoutais Jean-Michel Jarre et la 7ème de Beethoven en boucle.
Quand même, depuis dix ans ça me poursuit cette histoire-là. Parce que c’est peut-être à la mode, mais ça me parle.
Il y a deux ans et demi, je suis seulement TDAH. C’est simple, vérifiable, pas à la mode.
Néanmoins, le petit Hans Asperger se terre quelque part dans ma tête, prêt à bondir, à me sauter dessus pour dévorer mes certitudes. Il le fait. Il n’y a pas que le TDAH. Pourtant j’ai essayé de ne rien montrer à la psychologue. Je viens pour un TDAH, c’est un diag de TDAH que je veux. Un profil TSA/TDAH. Il faut que je sache. Vous n’arrivez pas à comprendre ? C’est exactement ce qu’il se passe dans ma tête. Je ne comprends rien.
Le 9 novembre, le médecin écrit DSM IV, DSM V, TSA, Trouble du spectre de l’autisme avec mon nom jamais très loin. Mon identité a explosé et je n’ai pas encore fini de recoller les morceaux. C’est en bonne voie, mais le personnage ne se reconstruit pas avec les mêmes pièces.
Je ne suis pas Sheldon Cooper, je ne suis pas Sherlock Holmes, je ne suis pas Bill Gates, je ne suis Pas Elon Musk, je ne suis pas Albert Einstein.
Je suis Stewen Corvez et j’ai (selon que vous vivez avant ou après 2013) un syndrome d’asperger ou un trouble du spectre de l’autisme accompagné de son charmant trouble du déficit de l’attention servi avec hyperactivité. Je suis le gars un peu bizarre qui raconte des choses parfois étranges, lunaires, par toujours compréhensibles. Un peu anxieux sur beaucoup de choses, qui tourne en boucle sur les mêmes sujets, les mêmes centres d’intérêts, sans en dépasser les limites, qui transpire à chaudes gouttes lorsque, face à lui, vous tentez de tenir une conversation. Pas parce que vous lui faites peur mais parce que, littéralement, il ne sait pas quoi répondre, quoi dire, de quoi parler. Il raconte pas mal de blagues pour combler le vide, se faire passer pour chaleureux.
L’entièreté de ce que je suis dépasse largement cela, je ne me résume pas au TSA, au TDAH et encore moins un HPI (sur lequel je fais l’impasse, les mythes lui étant associés étant au moins aussi absurdes que dans le cadre du TSA, la seul absolue certitude est que cela m’a très nettement aidé à me sortir de situations bien pénibles - et peut-être même la raison pour laquelle certains d’entre vous ne me croiront jamais s’il entendent dire / lisent que je suis autiste ou TDAH ou si je dois le leur expliquer un jour ).
Le fait d’avoir cette connaissance de ce que je suis aujourd’hui, ne change en rien qui je suis, mais m’aide à m’assumer, à accepter d’être celui que j’ai refusé d’être presque tout ma vie.
J’ai longtemps cru qu’Humphrey était mon frère caché. Non. Il est ce que de moi je vous cache.
Vos commentaires
Suivre les commentaires : |