La porte ouverte...

...à l’inexcusable

Texte publié initialement le 2 septembre 2018.

Vendredi, rentrée. Tous les remplaçants sont "invités" à la réunion de rentrée avec le nouvel inspecteur. Dix magnifiques minutes de discours républicain. Rappel des belles valeurs auxquelles j’ai cru, lorsque j’ai voulu devenir instit. Des valeurs qui m’ont tenues, jusqu’à ce que je prenne conscience de l’hypocrisie du système.

Et puis au bout de ces dix minutes, tout retombe. Bien sûr, ce rappel des valeurs républicaines n’avaient qu’un seul but : rappeler qui est le chef. Pour la faire courte : vous êtes des fonctionnaires, vous fermez vos gueules et vous obéissez. Lorsque j’ai vu le médecin de l’EN, dans les locaux mêmes de l’EN il y a six mois environ, on a beaucoup discuté. J’ai eu en face de moi quelqu’un de très compréhensif, d’humain. Je me suis senti écouté. Ce médecin m’a même proposé de demander un poste qui me correspondrait plus (sans rien me promettre, puisqu’elle savait sans doute, qu’en réalité, elle ne pourrait pas faire grand chose). La plupart des interlocuteurs que j’ai eu en face de moi ces dernières années étaient (et sont toujours) compréhensifs. C’est le point positif. Mais techniquement, c’est la seule chose qu’ils peuvent faire.

Après presque trois ans d’arrêts, j’ai été accueilli comme un enseignant lambda. C’est normal et tant mieux. D’un côté. De l’autre, c’est d’un cynisme monstrueux. Avant mon arrêt long, j’ai été arrêté plusieurs fois à causes d’acouphènes qui avaient la fâcheuse tendance à se prolonger indéfiniment. Vu des médecins, pas grand chose à faire. Ni à prouver. On ne m’écoute pas. Sans doute parce que je suis malentendant ? Ensuite trois ans de "congé de longue durée non imputable au service". Hypocrisie (bis).

Au moment même où j’ai mis les pieds dans l’engrenage de l’enseignement primaire, j’ai été confronté à une entreprise de sabotage en règle (quand j’étais dans le secondaire c’était un peu différent car j’étais non-contractuel, ce qui n’est pas mieux, mais les problématiques sont différentes). J’ai rencontré de très bons formateurs à l’IUFM (dont un à qui j’en ai voulu pendant des années pour de mauvaises raisons. J’ai malheureusement mis très longtemps à m’en rendre compte). Que ces formateurs soient remerciés ici. Mais malgré eux, l’institution dans son fonctionnement (et malgré son discours et les grandes valeurs qu’elle porte), a réussi à réduire le super enseignant que j’aurais pu être en une sorte de déchet de l’éducation nationale (toujours pas de majuscule, car je parle de celle que je côtoie, pas de celle qui se rêve).

Jamais (au grand jamais) on ne m’a encouragé. Premier contact avec un conseillé pédagogique, l’année de formation. Il m’observe en classe, on discute. Puis, il cause avec ma formatrice référente. Descente en règle, ce que je fais est inadmissible (je ne sais plus le terme exacte, mais c’est l’idée et "inadmissible" reste un terme très soft par rapport à mon souvenir). On tente de rattraper le coup. Je rentre dans les clous, on me dit que c’est mieux. Ouf. Mais la confiance en soi, prend quand même une sacrée claque. Second temps, inspection de validation. L’inspecteur m’explique bien qu’il me fait une fleur en n’écrivant pas qu’il n’est pas favorable à ma titularisation. Connard. Troisième temps, soutenance de mémoire professionnel. Même topo. On me fait une fleur parce que bon, je m’exprime très mal à l’oral comme à l’écrit. Connards (il étaient deux). Petite nuance quand même. Je suis persuadé que l’avis d’au moins un des deux était conditionnée par une mécompréhension assez formidable (mais c’est un autre problème et ce n’est pas le sujet).

Ce démarrage aura conditionné mon début de carrière. Pourquoi ? Parce que, de fait, je me sentais mauvais et illégitime. Pas à ma place. Donc avec l’impression toujours grandissante de travailler plus pour prouver ma légitimité que pour enseigner des choses aux enfants. Concrètement, ça se traduit par un effort surhumain pour entrer dans les cases de l’Éducation Nationale, pour montrer que je suis digne d’elle. Des journée à m’épuiser à remplir des paperasses, à faire des fiches de préparation totalement inutiles, à faire des programmations impossibles à suivre, à mettre à jour un cahier-journal qui n’a aucun sens. Le summum de la reconnaissance de la part de l’institution : une inspectrice regarde mes tonnes de paperasses inutiles sur lesquelles je me suis littéralement (et je n’exagère pas) épuisé et me dit que j’ai bien travaillé. C’est une insulte. Elle aurait au moins pu dire "merci d’avoir sacrifié votre santé - peut-être même votre vie, qui sait quelle cochonnerie vous allez développer après ça - pour que je puisse dire que vous avez bien travaillé."

Et je ne vous raconte pas tout. Vous rencontrez des conseillez pédagogiques qui préfèrent vous emmerder sur des détails plutôt que de discuter avec vous de ce que vous pourrez faire pour aller encore plus loin. Je pointe le négatif en négligeant les belles personnes qu’on rencontre parfois. J’en ai rencontré qu’une seule : pas de critiques, pas de reproches. Des conseils pour faire encore mieux et aller encore plus loin. Pourquoi c’est si rare ? Ça aurait été la seule fois où, après en entretien, j’ai eu envie de faire encore mieux et d’aller encore plus loin. Son travail a été saboté par les suivants. Cette année de reprise, il est possible que je revois cette conseillère mais ça ne me réjouit pas. Le mal est fait et je refuse de jouer les hypocrites, surtout avec elle.

Le système dans son ensemble nous pourrit. On ne s’en rend pas compte. Si je n’avais pas été le vilain petit canard, je ne m’en serais pas rendu compte, puisque je me serais enfermé dans mes certitudes rassurantes. Ce que je peux concevoir. L’EN promeut la bienveillance, la tolérance, mais envers ces employés elle peut (mais ce n’est pas toujours le cas) être malveillante. Il faut raser ce qui dépasse.

Cet article n’est pas un argumentaire contre l’EN. Je montre ce que je vis. Vendredi, je n’ai pas été accueilli. On ne m’a pas demandé comme j’allais. On ne m’a pas dit qu’on été content de me voir dans l’équipe des remplaçants. Heureusement, j’ai croisé quelque collègues que j’aime bien. Ça aide à supporter. L’inspecteur est venu me voir. C’était juste pour s’assurer que je ne me fais pas rémunérer pour les prestations de mariages que je fais. Mais accueil, encouragements, rien. Nous sommes une masse, un tas d’individus sans importance noyé dans un principe républicain lui-même gangrené par le monstre de la rentabilité et de la logique capitaliste. Je me plains, mais pour les enfants c’est pire. Eux, ils n’ont même pas les outils pour s’en libérer. Ce sont des machines, des outils, des agrégats de compétences qu’il faut rentabiliser. Prendre en charge un enfant à l’école, c’est faire un investissement sur pour des les profits à faire dans les prochaines années, grâce aux compétences développées à l’école au nom des valeurs de la république et de la démocratie.

Demain, je vais retourner travailler avec ça. Vraiment ? Non, je ne crois pas. Je suis incapable de mettre le nez dans un manuel, dans un guide pédagogique, d’ouvrir le moindre document. Les programmes, un tas de conneries. À la rigueur, pour les valeurs que je défends, pour l’école en laquelle j’ai cru pendant des années. Mais c’est du vent, rien que du vent. Et je sais que c’est ma vie que je risque. Ma vie de famille, ma vie artistique, ma vie intellectuelle, ma vie de chair et d’os.

J’attends avec impatience de ne plus rien en avoir à foutre, de tout ça. Mais il y a encore du boulot. Beaucoup. Demain, je vais me pointer dans une classe, les mains vides. Je n’ai rien préparé. Improvisation. Que de l’improvisation. Mais croyez-moi, ce n’est pas de la fumisterie. C’est du fatalisme.

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